Artiste-pêcheur, la mer m’a toujours nourri. Partout, les traces jalonnent l’estran et mon esprit. Aux empreintes des flots sur les rivages, j’ajoute celles de mes prises sur le papier. À la ligne ou en chasse sous-marine, je capture poissons et mollusques, m’imprègne de leur beauté naturelle.

Une fois de retour, je veille à trouver l’agencement parfait pour leurs nageoires, épines, ou tentacules. Le mouvement de la vie ne doit jamais cesser. Puis vient le temps des pigments : j’invente sur ces corps la trace que je veux voir naître.

Chaque partie de l’animal est un espace d’interprétation, de jeu sur la texture, la dilution, la définition. Transmettre ou faire disparaître, effacer la matière ou inscrire son absence : je fais surgir par l’estampe de nouveaux reliefs, une forme dépassée de chaque créature.

Enfin, je viens déposer une fine feuille de papier de mûrier sur l’animal : sous les variations de mon toucher apparaît l’empreinte. Souvent, mes pinceaux s’attardent sur le papier, ciselant une dernière fois la trace.

Corentin Derrien, artiste

Geste final, j'appose comme signature mon cachet à l’encre rouge. Je pense mon travail comme une pratique totale : je conçois l’œuvre de l’océan au papier.

Vies dépassées

Je ne cherche pas à réaliser une copie conforme de mes sujets. L’exactitude réaliste est une possibilité offerte par le gyotaku, mais mon projet artistique est autre : l’expression de la vitalité et la production d'une esthétique de l'empreinte. Mes œuvres sont ainsi le produit d’une tension entre deux principes. D’une part, reproduire l’animal dans sa forme et son mouvement, de telle sorte que l’estampe poursuive son identité première et qu’il soit reconnu dans sa matérialité initiale.
D’autre part, proposer par mon travail du relief et de la texture une expérience de la trace, c'est-à-dire affirmer la valeur esthétique de l'estampe en tant que processus.

Traces

Mes estampes ne sont ni des reproductions naturalistes, ni des gisants, ce sont des traces. Elles ne copient ni le vivant, ni le mort, mais les continuent.
Elles sont la photo d’un aïeul bientôt oublié, la marque des semelles dans la boue des landes, les ondulations des vagues imprimées sur le sable qui ne se découvre jamais, les silex trouvés entre les rochers, les épaves d’ormeaux, le bois flotté dans la vase des abers, les os de seiche échoués, les écritures effacées sur une bouteille portée par la tempête.

Fugues marines

Je crée mes estampes comme une musique, une tension que je refuse de dépasser ou de résoudre. Chaque animal est un thème que je ne me lasse pas de rejouer, remanier, recomposer. La nature m’offre un motif, mais l’empreinte est toujours un jeu sur l’identité, un travail du négatif. Je ne suis pas satisfait par l’impression séparée des écailles, des fibres, des tentacules, des amas de matière sans vie : elles ne me suffisent pas. L’imitation, quant à elle, m’apparait comme un sujet clos, une quête déjà brillamment accomplie par d’autres. Il me faut proposer de nouvelles expériences, l’émotion naîtra dans l’ambiguïté de la trace.